Un prédateur, sans les dents et le poil

Publié originalement le 18 février 2015

Mon mois (et demi) de terrain se termine cette semaine et je serais de retour à ma vie de bureau, avec un accès internet régulier. Mais je ne peux pas terminer cette belle expérience sans expliquer à quoi sert l’urine de coyote!

Dans un épisode précédent, j’ai expliqué que je place différents assemblages de branches en forêt pour étudier comment les plantes accompagnatrices peuvent modifier la susceptibilité au broutement par le cerf (1). D’autres choses que les plantes accompagnatrices peuvent modifier comment les herbivores sélectionnent leur nourriture. Par exemple, leur état : est-ce qu’ils sont affamés ou non? Ou, ce qui m’intéresse ici, la possibilité qu’un prédateur se trouve dans le secteur.

Comment les cerfs peuvent-ils savoir que le risque d’être tué est grand? Ils utilisent l’information disponible, fournie par leurs sens. Voir ou entendre un prédateur est un bon indicateur que le risque est grand. Malheureusement pour les cerfs, les prédateurs essaient d’être subtils lorsqu’ils chassent. Et on ne goûte et ne touche pas fréquemment un prédateur. Reste l’odorat (2)! Les prédateurs laissent des traces odorantes, notamment leur urine.

Donc, vous me voyez venir, je place de l’urine de prédateur près des de mes branches pour simuler la présence d’un prédateur. C’est beaucoup plus facile que de mettre un coyote en cage à proximité. Les cerfs devront donc faire un compromis entre leur alimentation et ce risque de prédation. Dans le cas qui nous occupe, cela veut dire que les cerfs devraient passer moins de temps dans les parcelles avec risque de prédation élevé. Ils y seront plus vigilants (comportement de surveillance) et moins sélectifs.

Je réalise cette expérience en Outaouais, où les prédateurs (coyote et loups) sont présents. Mais je la fais également à Anticosti, où il n’y a pas de prédateur naturel du cerf. Si j’observe une réaction de « peur », comment savoir si les cerfs ont reconnu l’urine de coyote? J’utilise donc également de l’urine de pékan (3), qui n’est pas un prédateur du cerf. Si les cerfs réagissent à l’urine de coyote et pas à celle de pékan, nous saurons que c’est réellement au risque perçu de prédation qu’ils réagiront.

J’espère avoir des résultats à vous partager dans les prochains mois!

(1) J’en ai parlé à 2 reprises : http://survivreasondoctorat.blog.com/2015/01/08/2015-commence-en-grand/

http://survivreasondoctorat.blog.com/2014/12/17/la-metaphore-du-buffet-mon-projet-de-doctorat/

(2) Je simplifie : ils peuvent aussi voir des traces de prédateurs, mais je ne sais pas à quel point c’est une stratégie utilisée. Il y a probablement d’autres sources d’informations possibles…

(3) Un animal peu connu : http://fr.wikipedia.org/wiki/Martes_pennanti

Travaux de terrain : trucs pour en tirer le maximum!

Publié originalement le 21 janvier 2015

Ça fait maintenant 7 ans qu’une partie de mes étés (et hivers) se déroule exclusivement dehors, à collecter des données. En biologie et dans d’autres domaines (foresterie, agriculture, géographie…), les données essentielles à un projet de recherche sont en partie récoltées à l’extérieur, souvent en région éloignée. Bien que Découverte ou le Code Chastenay nous renvoie une vision de chercheurs en veste blanche dans des laboratoires, ma vision de la collecte de données est tout autre. Elle comprend bouette, pluie, balades en pick-up truck.

Certains d’entre nous sont doués pour ce type de travaux. Disons que je préfère les organiser plutôt que les réaliser. Mes étés de terrain m’ont quand même donné les plus beaux moments de mes études, dans des environnements magnifiques. Au fil des années, j’ai accumulé quelques trucs pour m’assurer le succès de mes campagnes de terrain. Sans données, pas de doctorat!

Ton terrain, tu planifieras

Ça semble évident, mais c’est quand même une étape bâclée par plusieurs. On pense facilement au matériel et aux ressources humaines nécessaires. C’est un bon début, mais ce n’est pas tout. Si votre projet n’en a pas déjà un, pensez à rédiger un protocole qui répondra aux questions suivantes :

  • Que faut-il faire?
  • Comment?
  • Quand?
  • Quel est le matériel requis pour chaque tâche?
  • Où est-ce que les données récoltées seront transcrites?
  • Qui sont les personnes responsables de chaque tâche?

Un tel protocole assurera la bonne conduite des travaux, même en cas d’une absence imprévue de votre part. Il permettra également la reproductibilité de vos travaux. Je fais toujours valider mes protocoles par mon directeur et mon codirecteur, qui peuvent commenter et améliorer mes méthodes avec leur expérience.

Aux imprévus, tu t’adapteras

Je suis organisée, j’aime planifier et contrôler les évènements. Mais le terrain est plein d’imprévus, comme cette fois où la plantation de pins blancs où je devais prendre mes données ne présentait aucun pin blanc. Ou ces moments où la mauvaise température peut nous garder à l’intérieur quelques jours. Avant le départ, pensez à ce qui pourrait arriver et essayez d’envisager des solutions. Durant le terrain, fixez-vous des objectifs réalistes et révisez-les au fur et à mesure, en fonction des conditions. Et le plus dur, relaxez! Il y a des choses contre lesquelles on ne peut rien faire et il faut apprendre à vivre avec. Parfois, un imprévu ou une erreur peut mener à un autre projet ou à une autre découverte.

De ton équipe, tu prendras soin

Une campagne de terrain est souvent composée d’un étudiant gradué responsable des travaux, avec des assistants (étudiants au baccalauréat, stagiaires internationaux, stagiaires de CÉGEP). Vous aimez votre sujet et vous pourriez passer 10 heures par jour à mesurer du broutement de cerf, mais pas votre équipe. Prévoyez des congés, des journées raisonnables. Motivez-les en leur expliquant pourquoi vous faites ces travaux. J’aime beaucoup faire une liste des tâches à faire et les cocher au fur et à mesure avec l’équipe.

C’est ce à quoi j’ai pensé dans ces dernières journées, sous la pluie de janvier et la neige, en espérant vous aider à préparer vos prochains travaux! Quels sont vos trucs?

2015 commence en grand!

Publié originalement le 8 janvier 2015

C’est si motivant, les débuts d’année! Plusieurs projets se réaliseront dans mon doctorat : mise en ligne d’un preprint, soumission d’un article pour publication prochainement, séminaire de mi-parcours, congrès et même un stage à l’international. J’ai hâte de vous parler de tous ces projets et j’espère que vous continuerez à lire mon blogue. Nouvelle intéressante cette semaine : j’aurai ma semaine sur Biotweeps, un blogue, compte Twitter et une page Facebook donnant la parole à un nouveau biologiste chaque semaine (1). J’ai bien hâte d’y parler de relations plante-herbivore, de libre accès, de la place des femmes en science ainsi que de l’intérêt à écrire sa recherche en français.

2015 commence rapidement pour moi, car je quitte le confort douillet du bureau pour l’île d’Anticosti lundi prochain. Si vous avez lu mon dernier billet avant Noël (2), vous savez que je travaille sur les relations plante-herbivore, en utilisant comme modèle d’étude le cerf de Virginie. Plus spécifiquement, je cherche à comprendre comment la présence d’une plante accompagnatrice peut modifier la susceptibilité au broutement d’une plante. Bref, si je place une épinette à côté d’un sapin, sera-t-elle plus ou moins broutée par le cerf?

Et c’est exactement ce que je m’en vais faire. Je vais aller en forêt placer des branches côte à côte, par exemple 2 branches d’épinette ou de bouleau entourant une branche de sapin. Chaque matin, je placerai de nouvelles branches. Le lendemain, j’irai les reprendre pour dénombrer le nombre de bouchées prises par les cerfs. C’est un type d’expérience qui a déjà été fait auparavant [1], mais surtout avec des animaux en enclos. Moi, je mise sur la collaboration des cerfs en liberté. En comparant la consommation en présence d’épinette à celle en présence de bouleau, je mesurerai l’effet d’une plante accompagnatrice sur la susceptibilité au broutement du sapin.

Je tenterai de bloguer durant ce mois de terrain. Ça me permettra de vous expliquer pourquoi j’ajoute de l’urine de coyote à ce dispositif.

(1) https://biotweep.wordpress.com/schedule/

(2) Mettons que vous n’auriez pas lu : http://survivreasondoctorat.blog.com/2014/12/17/la-metaphore-du-buffet-mon-projet-de-doctorat/

1. Rautio, P., et al., Spatial scales of foraging in fallow deer: implications for associational effects in plant defences. Acta Oecologica, 2008. 34: p. 12-20.

La métaphore du buffet : mon projet de doctorat

Publié originalement le 17 décembre 2014

Voici mon premier billet sur ma recherche! (1) Commençons par spécifier que je suis une écologiste spécialisée dans les relations plante-herbivore. Plus spécifiquement, j’étudie la sélection des ressources alimentaires d’un grand mammifère, le cerf de Virginie (Odocoileus virginianus) et comment sa sélection est influencée par les plantes accompagnatrices.

Si vous ne connaissez pas le domaine, sachez que plusieurs chercheurs et études se consacrent à la sélection de la ressource par les herbivores. C’est logique : l’utilisation des plantes par les herbivores peut entrer en compétition avec notre propre utilisation de ces ressources. Et comme les populations de grands herbivores sont en augmentation dans le monde, il y a génération de conflits entre la faune et les populations humaines [1]. Plusieurs recherches se concentrent également sur l’influence des plantes accompagnatrices (les plantes voisines d’une plante d’intérêt) sur la sélection de la ressource par les herbivores. Avec le temps, j’ai développé une métaphore sur l’impact de ces plantes accompagnatrices sur le risque d’une plante d’être consommée.

Disons que vous adorez le cheddar, vous aimez les olives et vous détestez le brocoli. On est à un party de Noël et je suis intéressée par la probabilité que vous mangiez des olives. Dans le buffet, si les olives sont placées à proximité du cheddar, cela pourrait augmenter cette probabilité : vous allez vous tenir dans le secteur du buffet avec fromage et ingérer des quantités incroyables de cheddar et d’olives. Au contraire, si les olives sont près du brocoli, la probabilité de manger des olives pourrait diminuer. Juste à voir le brocoli, vous avez un haut-le-coeur et vous évitez cette section du buffet. Bien entendu, c’est une simplification de l’effet d’une plante accompagnatrices. L’effet d’une plante préférée et d’une plante évitée peut être inverse à celui décrit ci-dessus, mais ce sera le sujet d’un autre billet.

Certains des cerfs que j’étudie sont dans un système très simple, l’ile d’Anticosti (2). Sur l’île, il y a 3 espèces d’arbres principales. Nous pouvons les classer selon l’ordre de préférence du cerf pour ces espèces : bouleau > sapin baumier > épinettes. Les objectifs de gestion et conservation pour l’île visent à augmenter la régénération en sapin (Abies balsamea), qui est présentement surbrouté. Pourquoi ne pas utiliser les espèces accompagnatrices pour modifier la probabilité qu’un cerf consomme les sapins? Certains chercheurs ont proposé des initiatives de ce type dans d’autres systèmes [par exemple: 2]. Et c’est en partie pourquoi mon projet a été lancé.

Et voilà, je vous ai expliqué la métaphore du buffet, qui résume de façon simplifiée mon projet de doctorat. Une fois ce concept expliqué, je pourrais vous relater le travail de terrain que je m’apprête à faire en janvier : placer des branches dans le bois et noter ce que le cerf consomme. Spoiler: cette expérience implique de l’urine de coyote.

(1) Vous pouvez partager avec vos amis scientifiques anglophones avec ce lien/You can find the English version of this post here:

http://survivreasondoctorat.blog.com/2014/12/17/the-buffet-metaphor-for-my-ph-d/

(2) Un autre sujet futur !

1. Côté, S.D., et al., Ecological impacts of deer overabundance. Annual Review of Ecology Evolution and Systematics, 2004. 35: p. 113-147.

2.Aerts, R., et al., Restoration of dry afromontane forest using pioneer shrubs as nurse-plants for Olea europaea ssp cuspidata. Restoration Ecology, 2007. 15(1): p. 129-138.

The buffet metaphor for my Ph.D.

Publié originalement le 12 décembre 2014

So this is my first blog post about my research (1) and let’s start by stating that I am an ecologist interested in plant-herbivore relationships. More specifically, I am studying how the feeding choices of a large mammal, the white-tailed deer (Odocoileus virginianus) are influenced by neighboring plants (we’ll get to that).

For those unfamiliar with the domain, there is a large part of the literature concerned with feeding choices of herbivores. This is relatively unsurprising: herbivore’s use of plant can compete with our uses. And large herbivores populations are increasing worldwide, thus creating conflict between wildlife and human populations [1]. There is also a large interest in ecological studies about the influence of neighboring plants on feeding choices. My best explanation of the impact of neighboring plant on the risk of being eaten involves a buffet metaphor.

Let’s say you love cheddar, you like olives and you hate broccoli. You are at a Christmas party and we are interested in knowing what is the probability you will eat olives. In the buffet, if the olives are placed close to the cheddar, it might increase this probability: you will stick in that part of the buffet and eat lots of cheddar and olives. On the contrary, if olives are close to the broccoli, this could reduce the probability for you to eat olives. Just seeing broccoli, you will avoid that section of the buffet. This is highly simplified and there are also cases where the influence on probability is reversed. But this will be the subject of another blog post.

Some of the white-tailed deer I’m studying are in a very simplified system, Anticosti Island (2). There are only 3 main tree species and in order of deer preference: birch > balsam fir > spruce. The management objective is to improve balsam fir (Abies balsamea) regeneration, as it is presently over-browsed. So, hey, why not using neighboring species to modify the probability of a deer eating a fir ? Researchers proposed those kinds of initiatives [for an example: 2] in other systems. And that’s partly why my project was launched.

So that was the buffet metaphor I frequently use for explaining my Ph.D. Now that you understand the concept, I will be able to explain in January the fieldwork I will be doing : placing branches in the wood and observing what deer are eating. Oh, and it involves coyote urine.

(1) And incidently, my first in English. If you find outrageous grammar mistakes, please comment and I will rectify. You can find the French version of this post here:

http://survivreasondoctorat.blog.com/2014/12/17/la-metaphore-du-buffet-mon-projet-de-doctorat/

(2) Another futur subject !

1.Côté, S.D., et al., Ecological impacts of deer overabundance. Annual Review of Ecology Evolution and Systematics, 2004. 35: p. 113-147.

2.Aerts, R., et al., Restoration of dry afromontane forest using pioneer shrubs as nurse-plants for Olea europaea ssp cuspidata. Restoration Ecology, 2007. 15(1): p. 129-138.